Dans le flux toujours plus rapide et surchargé des informations, le design engagé reste un puissant vecteur de sensibilisation et de changement. Cet article explore comment le graphisme militant a contribué (et contribue encore) à éveiller les consciences sur des enjeux cruciaux tels que les droits humains, l’environnement & la justice sociale.
Le design engagé a toujours été un prescripteur de tendances, reprises ensuite par d’autres secteurs. Au LAB, nos expériences visent à contribuer à la transformation de la société, un pixel à la fois, en nous mettant au service de celleux qui la transforment.
Cet article, c’est un peu d’histoire, un peu de décodage, un peu d’hommage et de l’enthousiasme à revendre.
1/ GENÈSE DU GRAPHISME MILITANT
Le design engagé, c’est l’art de transformer des données brutes – injustices, urgences écologiques, inégalités sociales – en visuels qui cherchent moins à plaire qu’à provoquer une réaction, capturer l’attention, transmettre un message et/ou susciter une action.
Notre approche n’est pas exhaustive, elle est avant tout sensible
1.1 / CONSTRUCTIVISME RUSSE : PROPAGANDE MILITANTE
Le constructivisme russe a marqué un tournant décisif dans l’histoire du design graphique, influençant profondément les approches modernes de la communication visuelle. Né dans le contexte post-révolutionnaire de la Russie du début du XXe siècle, ce mouvement artistique et architectural se caractérise par une esthétique avant-gardiste, fondée sur les idées d’optimisation fonctionnelle, de simplicité et d’abstraction.
Les artistes constructivistes, tels qu’Alexander Rodchenko et El Lissitzky, ont révolutionné le graphisme en intégrant des éléments de typographie démesurée, de géométrie abstraite et de composition dynamique, visant à transmettre des messages clairs et puissants. En privilégiant l’usage de formes simples et de couleurs primaires, ils visent non seulement à attirer l’attention visuelle, mais également à éduquer et à mobiliser, en alignant l’art sur les objectifs sociaux et politiques de l’époque.
Le constructivisme a ainsi posé les bases de nombreuses pratiques contemporaines du design graphique, en mettant l’accent sur la fonctionnalité de l’art et son rôle dans la société, inspirant les générations futures de designers à penser le visuel comme un outil de communication et de changement social.
1.2 / LE BAUHAUS, OUI MAIS NON (MAIS UN PEU QUAND MÊME)
Le Bauhaus, bien que principalement associé à l’architecture et au design industriel, a également exercé une influence significative sur le graphisme. Toutefois, le qualifier de “militant” serait trompeur. Le Bauhaus n’était pas militant dans le sens traditionnel du terme, centré sur des causes politiques ou sociales spécifiques. Son militantisme était plutôt d’ordre conceptuel et éducatif, visant à révolutionner la façon dont l’art et le design étaient perçus, enseignés et pratiqués.
Fondé par Walter Gropius en Allemagne en 1919, le Bauhaus aspirait à abolir la distinction traditionnelle entre les beaux-arts et les arts appliqués. L’objectif était de créer des œuvres qui soient à la fois esthétiquement remarquables et fonctionnelles, intégrant l’art dans la vie quotidienne. À nos yeux de laborantines graphiques, cela représente une forme de militantisme en faveur de l’accessibilité de l’art et du design, promouvant l’idée que tout objet, du bâtiment au mobilier en passant par le matériel typographique, devait être à la fois beau, utile & accessible/lisible.
En graphisme, le Bauhaus a milité pour une approche minimaliste et fonctionnelle, mettant l’accent sur la lisibilité, l’utilisation de la géométrie et la typographie sans ornement. Les designers du Bauhaus, tels que Herbert Bayer et László Moholy-Nagy, ont été pionniers dans l’utilisation de compositions asymétriques, l’intégration de la photographie dans la mise en page (la technique du photomontage), et le développement de polices de caractères sans serif, qui sont devenues des éléments fondamentaux du design moderne.
Ainsi, bien que le Bauhaus ne soit pas militant au sens d’une lutte pour des causes politiques ou sociales spécifiques, il était profondément révolutionnaire dans sa remise en question des conventions artistiques et dans son engagement à fusionner l’art avec les aspects pratiques de la vie quotidienne. Son influence persiste dans l’enseignement et la pratique du design graphique contemporain, témoignant de son héritage d’innovation et de son approche intégrée de l’art et du design.
Ne cachons cependant pas que l’école du Bauhaus pratiquait, à quelques exceptions près et malgré son ouverture artistique, une idéologie conservatrice en termes de genre. Si ce sujet vous intéresse, nous vous conseillons “Les femmes du Bauhaus – Entre adaptation et affirmation” de Susanne Böhmisch.
2 / LE GRAPHISME DE PROTESTATION
Dès les premiers jours, avec les affiches propagandistes de la Première Guerre mondiale, le graphisme a été utilisé comme un outil pour mobiliser les masses et influencer l’opinion publique. Cette tradition se poursuit et se diversifie avec les mouvements sociaux des années 1960, où les affiches deviennent plus colorées, audacieuses, et expérimentales, reflétant l’esprit de liberté et de rébellion de l’époque.
2.1 / JOHN HEARTFIELD & LE PHOTOCOLLAGE
Au début du XXe siècle, des figures comme John Heartfield utilisent le photomontage comme une forme de protestation contre le fascisme, prouvant que l’art peut être une arme puissante contre l’oppression. Puis, dans les années 60 et 70, différentes formes de protestation se développent souvent ancrées dans une culture visuelle propre aux différentes région du monde.
Ce même John Heartfield « réalise en 1928 l’une de ses affiches politiques la plus connue, pour “la liste des 5” : “la main a 5 doigts, avec 5 vous pouvez faire échouer l’ennemi. Votez pour la liste 5”. L’idée du 5 fonctionne aussi bien pour le visuel que pour le texte et apporte une cohérence globale et un impact visuel, avec cette main de travailleur, aux doigts salis, qui se projette pour saisir (probablement des cols blancs !). On voit également les membres de la république de Weimar ou de la droite fasciste pendus à des 5 aux côtés des grandes figures religieuses avec le slogan “Faites les comptes. Manifestez pour la révolution ! ». (John Heartfield, le photocollage comme arme politique – Graphéine)
Aux Etats-Unis toujours, Emory Douglas, l’artiste dont les œuvres pour le Black Panther Party mélangent habilement graphisme et militantisme, marque également les courants graphiques engagés. Ces artistes, à l’instar d’un Ed Hall au Royaume-Uni, ont révolutionné l’esthétique militante, prouvant que l’écrit exposé doit désormais être “successivement photogénique, filmable, numérisable” pour capturer l’attention sur différents médias. Cette modernisation soudaine ne tient pas du hasard mais répond à une nécessité de rendre le message militant visible et impactant dans un monde de plus en plus numérisé.
Dans les contributions américaines marquantes, celle de Barbara Kruger, avec son style emblématique mêlant photographie et typographie pour interroger les structures de pouvoir et l’identité. Son travail a toujours été une grande source d’inspiration au LAB.
« Sur de larges bannières, elle agrandit des images publicitaires issues de magazines et leur adjoint un slogan explicitement dirigé vers le public, qui questionne l’autorité, blanche et masculine, et les stéréotypes véhiculés par les médias. Ses photomontages, limités à trois couleurs (rouge, noir et blanc). (Fabienne Dumont – Dictionnaire universel des créatrices – © Éditions des femmes – Antoinette Fouque, 2013.